Chap 43

Et si l'atelier devenait atelier ?

par Marcel Xhaufflaire, 2001

Le désir que l’Atelier de création sonore et radiophonique, six ans après sa naissance, devienne aussi et peut-être d’abord un atelier radio peut paraître paradoxal : il a émergé progressivement en filigrane des activités dominantes de l’ACSR jusqu’ici. Depuis sa naissance, via des appels d’offre et des commandes, l’ACSR a permis la création de plusieurs dizaines de réalisations, surtout des court-métrages. Dans la grande majorité des cas, la procédure de réalisation était la suivante : acceptation d’un projet écrit puis adaptation avec l’appoint parfois d’un réalisateur, suivant convenances et contraintes, soit dans un studio de la RTBF, soit dans des studios privés. Des réunions d’après séries de projets réalisés ou aussi festivals ont montré chez plusieurs auteurs et opérateurs un besoin d’une plus grande communication, voire d’une réelle concertation, sinon d’une complicité artistique, – un besoin qui n’a pas guère été rencontré par l’Atelier jusqu’ici. Aujourd’hui, semble-t-il, une possibilité s’ouvre. Ce besoin, je l’interprète comme un indicateur d’un certain désir collectif que l’ACSR développe une logique de réalisation à côté de sa logique de production. D’où quelques propositions quant à l’ouverture d’un atelier radio :

– ni seulement de la théorie (écoutes, conférences, débats…), ni seulement de la pratique (faire des choses, produire…), mais espace de théorie et pratique en rapport dialectique perpétuel (l’une et l’autre s’enrichissant dans la confrontation).
– un agencement, une machinerie, avec tous les engrenages, quelque chose comme une chaîne enroulée en spirale, qui commence (et finit) avec une écoute (aigüe) du réel et qui finit (et commence) avec l’écoute (fuyante) de la radio (totalement différente de l’écoute de la musique dans un lieu ad hoc clos).
– un atelier radio qui, même si la théorie et la pratique de l’objet sonore (P. Schaeffer) sont et restent la référence de base, ne se réduit pas aux jeux multiples induits par une régie technique de plus en plus performante. Un atelier radio inclut un travail de laboratoire, mais ne peut s’y résumer : le premier studio de la radio, c’est le monde (R. Farabet).
– un atelier radio n’est qu’une affaire de son que parce qu’il est une affaire de sens (recherche, découverte, émergence, circulation du sens) – un atelier radio vibre aux confins de la philosophie, des arts, des sciences humaines et naturelles, de la politique.
– un espace collectif où les passages d’une phase à l’autre, les transferts d’un opérateur à l’autre, sont autre chose que de simples transpositions ou des opérations de change (adaptations) : où ce sont au contraire les intervalles, ce qui se passe, ce qui peut se passer, ou ce qui ne se passe pas entre deux (et plusieurs) maillons de la chaîne qui devient objet de souci et de recherche.
– un espace de liberté par rapport aux contraintes de la production et de la diffusion, aux limites établies des genres et des programmations, tout en intégrant ces contraintes et limites dans l’agencement.
– une coexistence de plusieurs chantiers individuels ou collectifs. Un atelier est un lieu où se poursuivent simultanément différents travaux, le plus souvent en équipe, où des artisans prennent le temps de modeler des objets sonores. Le temps et le lieu d’un atelier radio ressemble quelque part à l’atelier d’un peintre : on y trouve et expérimente beaucoup de choses qui à première vue ne servent à rien. Et pourtant…
– le temps d’une réalisation radio commence bien avant et finit bien après le travail visible du façonnage d’un objet et le chemin parcouru peut apparaître très hétéroclite ou décousu, avant que ne se délie le fil rouge.
– un espace où la confrontation entre envies, volontés subjectives d’une part, expérimentations et opérations matérielles d’autre part est permanente afin que l’œuvre émerge pour ainsi dire d’elle-même, comme nécessaire, donc réellement innovatrice. Trouver les méthodes, les jeux et les procédés pour passer au feu les idées claires ou les intentions spontanées souvent réservoirs à leur insu de la répétition, du convenu, de la mode.
– un espace forcément interdisciplinaire. Artistes, philosophes, poètes, écrivains, compositeurs, musiciens, comédiens, réalisateurs, metteurs en ondes, ingénieurs du son, programmateurs, animateurs, auditeurs… tous admis !